dinsdag, april 13, 2010

Face aux abus sexuels, la désolation et le pardon du pape ne suffisent pas

L'EGLISE, ENTRE CHEMIN DE CROIX ET RENOUVEAU

Le Monde
09.04.10

Devant les actes de pédophilie dont se sont rendus coupables des prêtres catholiques, dans plusieurs pays du monde, devant la souffrance des nombreuses victimes et de leur famille, devant l'indignation que suscitent les révélations qui se succèdent, nous ne pouvons rester silencieux. Ces drames nous blessent et nous indignent. Mais nous ne pouvons nous contenter des déclarations des autorités institutionnelles de l'Eglise. Il ne suffit pas que Benoît XVI écrive, comme il l'a fait aux évêques d'Irlande, qu'il partage le désarroi et le sentiment de trahison que de tels actes inspirent. Il ne suffit pas qu'il dise qu'il est "vraiment désolé".

Il est certes nécessaire qu'il s'adresse avec fermeté à ceux qui se sont rendus coupables de tels actes, nécessaire également qu'il reproche aux responsables de l'Eglise leurs manquements dans le traitement de ces affaires. C'est bien le moins qu'il puisse faire. Cependant, c'est passer sous silence... le silence qui a très longtemps accompagné ces situations. Elles ne sont pas nouvelles. Bien avant que nos sociétés ne se soient fortement sécularisées, de tels actes ont été commis, et la littérature en témoigne largement. Mais il était d'usage parmi les chrétiens de ne rien dire, de détourner les yeux, de ne rien ébruiter en espérant que le linge sale serait lavé en famille par ceux qui exerçaient l'autorité.

Non seulement on a longtemps considéré que ces affaires ne relevaient pas de la justice civile, mais encore on ne demandait jamais ce qu'il en était de la justice ecclésiastique. Cette dernière s'exerçait dans le secret, mais abandonnait du même coup deux des fonctions essentielles de toute véritable justice, celle d'intervenir devant le peuple - en le représentant comme un tiers entre la victime et les coupables - et celle de l'exemplarité de la peine en vue de dissuader d'autres fautifs potentiels.

Dans de telles conditions, faute de manifester publiquement la réparation exigée du coupable, le pardon finit par être dénaturé parce qu'il ne peut s'exercer dans la clarté. De surcroît, quand on sait que souvent les abuseurs ont été eux-mêmes abusés dans leur enfance, sans que leur soient donnés les moyens de reconstruire en eux ce que le crime a détruit, ce silence apparaît comme un facteur constitutif de la possibilité de nouveaux drames...

Ce silence n'est pas seulement le fait de l'institution. C'est aussi celui des chrétiens ordinaires, qui n'ont pas toujours tout ignoré de ce qui se passait dans telle ou telle paroisse, dans telle ou telle école, dans tel ou tel mouvement. Certes, ils étaient aussi victimes du statut de "mineur" dans lesquels les a entretenus la société cléricale. Mais cela n'empêche pas que nous portons tous une part de la faute.

On aurait tort d'isoler les actes pédophiles de toute une série de comportements qui ont profondément blessé nombre de personnes, notamment des pratiques intrusives sinon inquisitoriales, et culpabilisantes dans l'exercice du sacrement de pénitence. Des enfants et adolescents ont pu en être profondément troublés à des âges où se forme la personnalité intime et l'on sait à quels drames peuvent conduire ce que des psychanalystes appellent des "meurtres d'âme". Des couples aussi en ont profondément souffert. C'est en fait tout un rapport à la sexualité, dans l'Eglise catholique, qui doit être interrogé, dans ce qu'il a parfois, paradoxalement, de pornographique, par une fixation obsessionnelle sur le sexe comme objet.

Plus largement, ce sont aussi, dans l'exercice de l'autorité et de la responsabilité, des comportements qui ressortissent du fantasme de toute-puissance, qui ont blessé et continuent d'offenser, faute de reconnaître l'autre comme une personne à part entière, pour le tenir dans une position de mineur. Comment ne pas voir que ce tissu de comportements est un des grands obstacles à la transmission de la foi ? Comment ne pas voir qu'il jette un voile sur la "parole de vie" dont l'Eglise "peuple de Dieu" est en charge ?

Nous ne pouvons pas nous laver les mains de cet état de fait. Nous avons été à la fois victimes et participants de ce qu'il faut bien appeler "une structure de péché". Certes, il y a des fautes et des crimes précis - et il importe absolument d'une part qu'ils soient examinés par la justice civile, et d'autre part que la justice ecclésiastique les sanctionne publiquement - et il n'est pas question de les faire disparaître dans une forme de responsabilité collective. Cependant le péché de l'Eglise et de ses serviteurs, nous devons tous y faire face.

Parce que nous voulons vivre pleinement notre baptême, nous entendons assumer notre responsabilité de membres de l'Eglise. Dans ce drame, nous sommes solidaires : la honte de l'Eglise est la nôtre, et il importe, pour en finir avec le silence et la perversité qui s'y dissimule, que nous ne nous contentions pas du pardon des évêques et de la désolation du pape.
Il importe que nous, catholiques, en demandions aussi pardon - au nom de toute l'Eglise, parce que nous sommes l'Eglise -, aux victimes. Alors, pour tous ceux qui voient dans ces crimes des raisons de douter que le Christ est lui-même amour, vérité, liberté et justice, pourra s'ouvrir de nouveau la possibilité de l'accueillir comme authentique sauveur.

Ne pas avoir le courage de demander pardon, et ne pas s'engager à faire changer les modes de gouvernance dans l'Eglise, c'est ouvrir la porte à l'emballement des accusations et des fausses justifications, à l'enchaînement des rancoeurs sordides, à la désignation de boucs émissaires...
Les yeux fixés sur le Christ, nous demandons pardon aux victimes. Après qu'un tel mal a été commis, lui seul peut aider à trouver les chemins de la vérité, de la justice et de la paix.

Jean-François Bouthors, éditeur et écrivain ;
Christine Pedotti, éditeur, écrivain et cofondatrice de la Conférence des Baptisé-e-s et du Comité de la Jupe ;
Anne Soupa, rédactrice en chef de Biblia, cofondatrice de la Conférence des Baptisé-e-s et du Comité de la Jupe ;
Guy Aurenche, avocat et président du Comité catholique contre la faim et pour le développement ;
Jean-Pierre Rosa, éditeur ;
Gabriel Ringlet, théologien et vice-recteur émérite de la faculté de Louvain ;
Gilbert Caffin, oratorien et théologien ;
Bernard Perret, économiste ;
Monique Hébrard, écrivain et chroniqueuse à La Croix ;
Mijo Beccaria, présidente du Bureau international catholique de l'enfance ;
Jean Delumeau, historien ;
René Poujol, ancien directeur de la rédaction du Pèlerin ;
François Vaillant, philosophe et théologien ;
François Euvé, doyen de la faculté de théologie du Centre Sèvres ;
Dominique Chivot, journaliste ;
Claude Plettner, écrivain et éditeur ;
Jean-Claude Petit, président du Centre national de la presse catholique ;
Daniel Duigou, prêtre, psychanalyste et écrivain ;
Henri Madelin, théologien ;
Helena Lassida, économiste ;
Catherine Grémion, sociologue ;
Henri Tincq, journaliste ;
André Gouzes, théologien ;
Gérard Testard, responsable d'association ;Aimé Savard, journaliste.

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