donderdag, februari 11, 2016

Le diocèse de Lyon face au passé d’un prêtre pédophile

La Croix 


Céline Hoyeau, à Lyon


Bertrand croyait cet homme mort depuis longtemps. Mais un article de presse lui révélait en décembre qu’il était en vie. Et pas seulement. La photo, datée du 15 août, montre le P. Bernard Preynat entouré d’enfants. Ils ont l’âge de ceux de Bertrand… L’âge, aussi, que ce cardiologue lyonnais avait lorsqu’il eut à subir les attouchements du même « père Bernard », en 1980, alors qu’il avait à peine 10 ans.
Choqué de découvrir que ce prêtre a été laissé au contact de mineurs toutes ces années, Bertrand a cofondé avec d’autres victimes une association – « La Parole libérée » – pour « briser l’omerta sur la pédophilie dans l’Église ».
Aux yeux de ce cardiologue, le silence, comme en médecine, est délétère : « La pédophilie est un cancer pour le corps qu’est l’Église, et elle génère ses métastases si l’on ne s’en occupe. » « Nos parents ont peut-être pu se taire, mais nous sommes d’une génération qui ne peut plus supporter cela », abonde une autre victime présumée, Alexandre, 44 ans, dans la finance et père de cinq enfants.
« S’il faut un village pour élever un enfant, il faut aussi un village pour en abuser », cite Alexandre, frappé par cette formule choc du film Spotlight, sur les scandales pédophiles à grande échelle que le diocèse de Boston a couvert jusqu’en 2002 et dont la sortie concomitante en France a encouragé « la Parole libérée »dans son action.

Le prêtre a été mis sous examen

Alexandre, Bertrand, mais aussi François, Laurent, Christian, Didier et tant d’autres du groupe scout Saint-Luc, à Sainte-Foy-lès-Lyon. L’affaire, qui fait l’objet d’une enquête judiciaire, semble d’envergure.
Par son ampleur : le prêtre, âgé de 71, ans a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire « pour agressions sexuelles aggravées » sur des scouts après que quatre plaintes ont été déposées en mai 2015 ; il a aussi été placé sous le régime de « témoin assisté » pour trois « viols ».
Mais, selon le registre tenu par Bertrand, qui a gonflé à mesure que les témoignages – pour la plupart prescrits – affluaient surle blog ouvert en décembre par l’association (1), il y aurait environ « 45 victimes déclarées ». Sans précédent aussi parce que le prêtre lui-même a toujours reconnu ces faits, ce qui est plutôt rare dans ce type de drame. Et parce qu’ils ont longtemps été couverts.

Le « père Bernard » entraîne ses « chouchous » à l’écart

1972, Sainte-Foy-lès-Lyon, paroisse Saint-Luc, dans la banlieue ouest. Décrit comme effacé, le curé, le P. Plaquet, est rejoint par un jeune vicaire doté d’une forte autorité naturelle. Ce « génie de l’organisation » a créé une troupe scoute indépendante, le groupe Saint-Luc (GSL). Camps, grands jeux, levers de drapeaux : très vite, le GSL attire jusqu’à 400 enfants.
Le P. Preynat s’entoure de jeunes chefs et cheftaines ainsi que de parents qui le vénèrent. « On l’aimait bien mais on le craignait, se souvient Claire (2), scoute de 1972 à 1977. Très tôt, dans ma conscience d’enfant, j’avais compris qu’il préférait les garçons. » Côté face, le « père Bernard » entraîne ses« chouchous », des scouts de 7 à 11 ans, à l’écart ou profite des trajets en bus pour leur imposer gestes déplacés et attouchements.
Pour Laurent, 47 ans, ce calvaire a duré de la fin 1979 à 1982. « Je savais qu’il le faisait avec d’autres, même si c’était difficile à mettre en mots. Que dire ? Et à qui ? Nous sentions un mur en face de nous, de la part de ceux qui le niaient. Le P. Preynat incarnait une autorité phénoménale. »

Une pétition est lancée par les paroissiens en soutien au prêtre

À la même époque, pourtant, la mère de Bertrand, à qui son fils s’est confié, convoque le prêtre qui s’excuse. Le P. Plaquet et le diocèse sont informés mais des paroissiens lancent une pétition en soutien au P. Preynat. « Comment un homme qui aime autant la Sainte Vierge pourrait-il commettre de tels actes ? », s’indigne alors une maman.
Il faut attendre dix ans plus tard, et la remarque candide du fondateur de La Parole libérée, François Devaux, âgé de 10 ans à l’époque, pour que la machine s’emballe : « Rentrant d’une réunion scoute, j’ai dit à mes parents, tout fier : “Le P. Bernard m’aime très fort et il m’a même embrassé sur la bouche !” Ils m’ont aussitôt retiré du groupe. »
C’était en mai 1990… Il faudra encore plusieurs mois et toute leur ténacité pour faire bouger les choses. Dans une lettre du 14 février 1991 adressée sous forme d’ultimatum au cardinal Decourtray, le primat des Gaules de l’époque, et alors que deux autres enfants ont avoué avoir subi ces mêmes agissements, Madame Devaux menace d’alerter la justice si le P. Preynat n’est pas renvoyé sur-le-champ et écarté de tout contact avec des enfants.

Le prêtre est finalement débarqué en février 1991

La réponse du cardinal est immédiate : « Il y a du ”diabolique” dans cette affaire et le “coupable” n’est qu’une victime que je vais tenter de libérer. » Convoqué le même jour, le P. Preynat écrit aux Devaux : « Je n’ai jamais nié les faits qui me sont reprochés, ils sont pour moi une blessure profonde dans mon cœur de prêtre. » Il sera finalement débarqué avant le camp d’hiver et envoyé chez les Petites Sœurs des pauvres.
Pourquoi a-t-il fallu tant de temps, alors qu’en février 1991 « personne n’a été surpris », selon plusieurs témoins ? « À l’époque, on ne disait rien, c’était tabou. Certains pensaient qu’il s’agissait de calomnies… », souligne Jean-Noël Guinot, père de trois scouts. L’autorité et l’aura du P. Preynat ont sans doute grandement contribué au silence, emblématique d’une époque.
« C’était un homme remarquable par ailleurs. Il nous semblait ce qu’il fallait pour nos enfants », se souvient Guy, dont les trois enfants ont été scouts. Lui-même et sa femme ont continué, avec d’autres couples, à « soutenir spirituellement le père, après son départ ».

Les familles enfouissent le secret

Des zones d’ombre demeurent. Beaucoup de prêtres de l’époque sont morts, à commencer par l’archidiacre, Mgr Faivre, mais aussi le curé de Saint-Luc… Pourquoi n’a-t-il rien dit ? « Il y avait une sorte de solidarité entre eux. Le P. Plaquet n’a jamais voulu en parler par la suite, même à ses confrères, et lorsque Preynat a été déplacé à Neulise, il a demandé à le suivre », avance le P. Michel Desvignes qui succéda aux deux hommes en 1991.
Affaire classée ? Pendant vingt-cinq ans, les victimes et leurs familles ont enfoui ce secret. « Le cardinal Decourtray nous avait assuré avoir fait le nécessaire », explique François Devaux. Après six mois chez les sœurs, le P. Preynat sera finalement muté dans une paroisse, à Neulise (Loire).
« À l’époque, le cardinal a fait ce que le Vatican lui demandait, on déplaçait le prêtre, on protégeait l’institution », affirme Régine Maire, chargée par l’actuel archevêque, le cardinal Philippe Barbarin, de recevoir les victimes.

La colère des victimes se porte aujourd’hui contre le diocèse de Lyon

Alors que l’épiscopat français a adopté des normes sur la pédophilie en 2002 et que Benoît XVI puis le pape François ont été très fermes sur la « tolérance zéro », la colère des victimes se porte aujourd’hui contre le diocèse de Lyon.
Elles ne comprennent ni le choix d’avoir maintenu le P. Preynat en poste – il a été nommé doyen en 2013 –, ni les lenteurs à le décharger de ses fonctions à la suite du courrier d’alerte adressé par Alexandre au cardinal Barbarin en juillet 2014. Le jeune financier vient alors d’apprendre, au détour d’une conversation, que le curé assure toujours le catéchisme…
« Si je n’avais alerté le diocèse, il serait encore à Thizy », déplore Alexandre. En septembre 2014, il rencontre Régine Maire, qui organise une confrontation avec le prêtre. Puis écrit de nouveau au cardinal, le 27 décembre, « choqué que rien ne se passe », et lui envoie le témoignage d’une autre victime.

Le diocèse tarde à retirer sa charge au P. Preynat

Le 15 mars 2015, ce dernier répond avoir annoncé au P. Preynat lui retirer sa charge. Mais à Pâques, le prêtre est toujours en poste. Alexandre écrit au pape et au procureur de la République. Bernard Preynat quittera finalement sa paroisse le 31 août.
« Les échanges de correspondance avec Rome ont ralenti le processus », indique Régine Maire. Une victime présumée, Laurent, assure en outre avoir rencontré Mgr Thierry Brac de la Perrière, alors évêque auxiliaire, le 24 juin 2011. « Il m’a bien dit alors : “Nous avons Preynat à l’œil” », affirme Laurent. Interrogé par La Croix,l’évêque affirme « ne pas se souvenir de ce rendez-vous », préférant « ne pas s’exprimer sur cette affaire ».
Comme en 1991, le départ du P. Preynat suscite de fortes tensions dans le diocèse. Certains paroissiens se sentent trahis. D’autres fidèles ne nient pas les faits mais ne comprennent pas pourquoi on ressasse ces scandales.

À l’évêché, le dossier du prêtre était resté « quasiment vide »

« Le cardinal Decourtray a agi selon ce qu’il jugeait bon. Ce qui me blesse, ce sont ces attaques qui font beaucoup de mal à l’Église », estime Denise Bouteille, 80 ans. Ses trois enfants ont été au groupe Saint-Luc. « Lorsqu’on disait à mon défunt mari qu’ils étaient bien élevés, il répondait que c’était en grande partie grâce au P. Preynat. »
Tout homme n’a-t-il pas droit à une deuxième chance ? C’est manifestement le pari qu’a fait le cardinal Barbarin à l’égard de ce prêtre dont il a pris connaissance du lourd passé cinq ans après son arrivée à Lyon.
À l’évêché, le dossier du prêtre était du reste « quasiment vide »,hormis la lettre des Devaux et une autre de paroissiens dénonçant des « calomnies ». « À ce jour, et à la connaissance du diocèse, aucune plainte n’a été déposée contre ce prêtre pour des faits postérieurs à 1991 », soulignait l’archevêché le 12 janvier dans un communiqué, précisant que « ce prêtre n’aurait pas connu de nouvelles missions si les faits reprochés en 1990 survenaient aujourd’hui ».

Un « prêtre pédophile en test » ?

« Quand bien même… Comment le cardinal peut-il écrire que l’Église veut être une “maison sûre” ? Accepteriez-vous de courir le risque de confier vos enfants à un “prêtre pédophile en test” ? Cela me semble d’une irresponsabilité gravissime », tempête François Devaux, 36 ans, maître d’œuvre dans la rénovation à Villeurbanne.
Lors d’une confrontation avec le P. Preynat et leurs avocats, fin janvier, ce père de trois filles rapporte que le prêtre lui aurait assuré que « tous les cardinaux (3) ont toujours été au courant ».
(1) Une dizaine de témoignages ont été publiés sur le blogwww.veritegroupesaintluc.fr/
(2) Certains prénoms ont été changés.
(3) Decourtray, Balland, Billé et Barbarin.



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