woensdag, januari 18, 2012

La bombe pédophile

Temoignage chrétien
12-1-2012

Pays-Bas
par Hendro Munsterman

1 259 pages. La publication, vendredi 16 décembre, du rapport de la commission Deetman sur les innombrables cas d’abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique des Pays-Bas est un nouveau coup dur pour l’institution. Analyse d'Hendro Munsterman, directeur de l’Institut pastoral d’études religieuses de l’Université catholique de Lyon.

T­out commence en février 2010, lorsque deux journalistes néerlandais attirent l’attention sur un cas d’abus sexuel sur enfant dans un ancien internat de salésiens de Don Bosco dans les années 1950.

Cette révélation, qui en suivait d’autres en Allemagne, en Irlande et aux États-Unis, fait remonter les souvenirs dans le pays. Évêques et responsables de congrégations et d’ordres religieux se voient alors obligés de demander à un homme politique protestant, l’ancien maire de La Haye Wim Deetman, de former et de présider une commission indépendante constituée de lui-même et cinq autres membres, tous universitaires.

Après un appel aux victimes, la commission recueille 1 795 plaintes d’abus sexuels sur mineurs au cours de la période 1945-1981, commis dans l’ensemble des sept diocèses et dans 68 ordres et congrégations religieuses. Elle dresse une liste de 800 prêtres et frères qui auraient commis des actes de pédophilie ; 105 sont encore en vie, et certains encore en activité pastorale. La commission estime alors entre 10 000 et 20 000 le nombre de personnes victimes, dans leur jeunesse, d’abus sexuels par un membre du clergé catholique.

Selon ces mêmes recherches, un néerlandais de quarante ans et plus sur dix a été victime d’abus sexuel au cours de son en­fance par un majeur non-membre de sa famille. Le problème dépasse donc largement l’Église catholique. Mais comme le disait un évêque néerlandais : « Ce n’est pas parce que la rue est sale chez le voisin que la nôtre en est plus propre. »

dérive due au pouvoir

Quelle est donc la particularité de l’abus sexuel sur mineur commis par un prêtre ou un religieux ? D’abord, la commission a constaté que l’organisation ecclésiale, fragmentée, a favorisé une culture du silence. Chaque congrégation a son degré d’autonomie, cha­que diocèse fonctionne dans son coin, et on reste inconscient des problèmes structurels. En outre, à partir du moment où le nombre de séminaristes commence à diminuer, dans les années 1960, la problématique est considérée, sous pression romaine, comme étant individuelle et non structurelle.

L’opinion publique place souvent le célibat ecclésiastique en première raison de ces abus, mais la commission a démontré qu’un lien simple et direct entre ces deux éléments n’existe pas. Si le recrutement dans les petits séminaires a pu favoriser des choix pour le célibat pas suffisamment mûris et donc risqués, à partir des années 1960, ce choix devient plus libre et conscient.

Aujourd’hui, nous nous rendons compte qu’il s’agit d’abord d’une dérive due à un lien de pouvoir et de dépendance de la victime par rapport à l’auteur de l’abus. Mais la hiérarchie catholique, en considérant l’abus sexuel sur mineur comme un problème sexuel, l’a elle aussi mis en lien avec le vœu de chasteté. Les autorités catholiques se concentrant alors sur le non-respect du célibat des auteurs, elles ne se sont que peu préoccupées de développer une véritable politique d’attention individuelle aux victimes.

les défis de l'Église

Comment interpréter le résultat de ces recherches ? Une vive discussion s’est développée, notamment sur des forums et ré­seaux sociaux sur Internet, entre conservateurs et progressistes, fruit amer du che­min de la bipolarisation que l’Église néerlandaise a retrouvé ces dernières années.

Pour les premiers, c’est la faute de la ré­volution sexuelle et des suites du Concile Vatican II – ce qui n’est pas vrai puisque 42,1 % des cas recensés ont eu lieu dans les années 1950, quand l’Église catholique néerlandaise était encore très marquée par une attitude ultramontaine et fidèle à Rome. Pour les seconds, c’est la faute du célibat et de la morale sexuelle catholique trop restreinte – ce que la commission démasque comme trop simpliste.

D’un point de vue théologique, à la lecture des 1 259 pages du rapport, on peut retenir trois défis pour l’avenir de l’Église catholique. Le premier concerne la relation entre le ministre ordonné et les fidèles laïcs. Dans le passé, cette relation fut considérée comme une relation de subordination.

Celle-ci peut être renforcée par l’image projetée du célibat, considéré parfois comme plus éminent que la vie maritale. Nous sommes appelés aujourd’hui à redécouvrir la singularité du ministère ordonné, à travers une relation dans laquelle ministres et laïcs se reconnaissent d’abord comme frères et sœurs. Après les scandales d’abus sexuels en Irlande, Mgr  Diarmid Martin, archevêque de Dublin, s’inquiétait face à l’émergence d’une « nouvelle culture de cléricalisme » et plaidait pour la formation des prêtres, diacres et laïcs dans des institutions communes.

combattre les tendances de repli

Deuxième défi : la simplification nécessaire de l’organisation ecclésiale. Durant des siècles, l’Église catholique s’est forgée une structure complexe, dans laquelle même les catholiques ne se retrouvent plus. Cette complexité mène à des paradoxes : d’un côté, l’Église d’un pays affirme l’autonomie des diocèses et évêques locaux, mais de l’autre, elle se retranche derrière des directives romaines.

De la même façon, dans le contexte Irlandais, parfois le Vatican se considérait comme autorité suprême ecclésiale, mais à d’autres moments, il voulait être traité comme un État souverain. Un dernier exemple est l’existence du droit canonique dans un état de droit civique. Il est arrivé que des évêques jugent inutile de faire appel au droit civil dans certains cas d’abus sexuels et qu’un traitement canonique était suffisant. Les non-initiés dans les affaires ecclésiales ne comprennent plus rien et en concluent que l’Église cherche simplement à dissimuler les affaires.

Troisième défi : l’attitude de l’Église catholique vis-à-vis du monde extérieur. La plupart des cas d’abus sexuels eurent lieu à une époque où l’Église catholique aux Pays-Bas fonctionnait en vase clos à l’intérieur de la société néerlandaise. Aujourd’hui, nous retrouvons dans l’Église catholique des tendances de repli, parfois accompagnées de méfiance vis-à-vis du monde extérieur. Ceci n’est pas seulement une réaction justifiée à la perte de visibilité dans nos sociétés contemporaines, mais est parfois une tentative de fuite aux questions critiques venant de l’extérieur – notamment des sciences humaines.

Le Concile Vatican II, dont nous célébrons cette année le 50e anniversaire, disait de l’Église qu’elle est « à la fois sainte et toujours appelée à se purifier ». Le rapport accablant mais pertinent de la commission Deetman est un appel pour l’Église à poursuivre « constamment son effort de pénitence et de renouvellement » (1).

(1) Lumen Gentium, 8.

Geen opmerkingen: