Richard Sipe 15-10-2011
Dans un grand couvent où se trouvait
réunie une belle compagnie de
dames et de saintes femmes, vivait
une religieuse de saintes moeurs et de
très haut parage. Elle servait tout particulièrement
la Vierge et elle inspira, par sa
piété, une si forte haine à l'Ennemi, qu'il se
résolut à la perdre sans retard. Un jour
qu'elle était sortie pour aller s'ébattre avec
ses amis, un noble de la contrée la vit et
souhaita de la prendre en sa compagnie.
Le Diable qui sait suggérer de telles occasions
et en profiter ne manqua pas d'attiser
un tel désir. Le seigneur, sans s'en douter
inspiré par lui, dit tant et fit tant qu'il
réussit à toucher la jeune fille et à la
persuader de partir avec lui.
Mais, au moment où celle-ci allait se
lever et le suivre, elle tomba subitement et
miraculeusement endormie. Il lui sembla,
dans ce sommeil, que deux démons plus
noirs que des mûres l'emportaient à grande
vitesse et la laissaient sur le bord d'une
fosse béante, horrible, périlleuse, qui semblait
prête à engloutir le monde. De ce
gouffre sortaient une odeur fétide qui empestait
l'air tout autour et d'épaisses vapeurs
qui voilaient la lumière du jour. La pauvre
fille eut grand peur de choir, là-dedans. Elle
y voyait des crapauds gros et enflés comme
des porcs, des serpents aux dents aiguës, de
gigantesques lézards, d'énormes vipères et
toute une vermine qui grouillait. Là, étaient
plongés, tourmentés ou dévorés par toutes
ces bêtes ceux qui avaient fait mauvaise
oeuvre. Ils tordaient leurs bras, battaient
des paumes et poussaient des cris effroyables.
Les diables, sans repos, arrivaient puis repar-
taient, apportant, à chaque voyage, des
âmes désespérées qu'ils s'empressaient d'empiler
dans l'abîme où déjà s'agitaient tant
de damnés.
Or, les voilà qui accourent vers la jeune
fille pour l'emporter à son tour.
—• « Miséricorde ! s'écrie-t-elle, au secours,
au secours, à mon aide, ô Madame sainte
Marie ! »
Pendant qu'elle pousse ces clameurs, elle
aperçoit une Dame, ressemblant assez à
la Vierge, mais qui passe son chemin
dédaigneuse et sans paraître l'entendre.
Elle crie de plus belle ; à la fin, Notre-
Dame se détournant de sa route, s'approche
et lui dit :
— « Qui donc es-tu, toi qui m'appelles si
fort ?
— Hélas, Madame, répond l'infortunée,*
je suis la pauvre religieuse qui se plaisait
tant à vous servir. Reine très douce et débonnaire,
sans votre grâce, j e suis perdue.
Voyez ce gouffre et voyez ces diables qui
m'assiègent et qui vont m'y trébucher.
Secourez, haute Dame, secourez celle qui est
votre servante et votre amie.
— Tu n'es, répond la Vierge, ni mon amie
ni ma servante. Que celui pour qui tu voulus
me quitter vienne à ton secours. Pour moi,
pourquoi m'intéresser à ton sort ? Oui,
demande de te tirer du péril à celui à qui tu
nous sacrifies, moi et mon Fils. »
A ces paroles, les Diables tout joyeux se
jettent sur la proie qu'ils se croient promise.
Mais Notre-Dame, au milieu du gouffre, les
arrête. Elle sourit :
— « Non, s'écrie-t-elle, toi qui m'as servie,
je ne puis souffrir que tu périsses ainsi. Viens
donc. »
Elle lui tend la main, la tire de là ; les démons
s'enfuient.
— « Belle amie, dit Notre-Dame à sa fille
toute tremblante, garde-toi, si tu veux te
sauver, de plaisir et de vanité. Dans le feu
d'enfer font leur lit ceux qui cèdent à leur
désir et obéissent au démon. Éloigne désormais
qui voulait t'éloigner de Dieu. A mon
Fils, tu es vouée : pour lui tu te dois tenir
intacte et nette ; on t'a montré ce qu'il
t'arriverait si tu manquais à tes promesses.
Prends garde que le péché déshonore et tue
pendant qu'il perd l'âme et la jette dans
les ténèbres puantes. Mais la charité rend
cette âme et ce corps plus beaux et merveilleux
qu'or fin, elle les élève et les
honore, elle est porte du paradis, elle trace
le droit chemin que suivent ceux qui vont au
Ciel. »
A ce moment la demoiselle s'éveilla et admira
le sens et la figure de la merveille qu'elle
venait de voir en songe. Et les envoyés du
Seigneur survenant, elle leur cria :
— « Hors d'ici... Retirez-vous, Satan! Je
ne veux d'autre mari que celui qui a pour nom
le Roi du Ciel. C'est mon bien-aimé, c'est mon
maître, mon coeur s'est appuyé sur lui, comment
oserais-je regarder ailleurs ? Fuyez,
fuyez vous-mêmes, messagers de l'enfer qui
me voulez distraire de mes célestes amours. »
Elle leur dit tant qu'ils s'en retournèrent
penauds vers leur maître bien déçu et bien
attrapé. La jeune fille se renferma dans son
cloître et n'en voulut désormais sortir. Elle
vit bien que ce n'est pas sans dommage
qu'une religieuse se permet de franchir la
clôture et que le Malin reste toujours aux
aguets dans ces occasions. Il a bien des
ruses pour tromper les âmes et les détourner
de leurs fins pour les amener aux
siennes. Celles-là savent lui résister qui se
rappellent leurs promesses et songent au
Royal époux
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